Un cheminot de longue date décrit le traumatisme d’une intervention d’urgence deux fois en une même année

On vous le dit quand vous commencez à travailler pour une compagnie de chemin de fer.  Les incidents arrivent, ça fait partie du travail.  Vous espérez que ça ne vous arrivera pas.  Mais quand vous êtes directement témoin de deux incidents en une même année, comment ne pas se poser la question : Pourquoi ? C’est exactement ce qui est arrivé à Mark Blanchette, un cheminot et intervenant d’urgence aguerri qui travaille actuellement pour la compagnie Goderich and Exceter Railway et comme superviseur pour Genesee and Wyoming Canada dans le sud de l’Ontario.  Il est aussi technicien médical, capitaine et pompier volontaire. Nous avons discuté avec Mark, un fervent partisan de longue date d’Opération Gareautrain, et nous lui avons demandé de parler de ces deux événements tragiques. Deux incidents ferroviaires en une même année   C’était en 1996.  Mark Blanchette est intervenu lors de deux collisions fatales entre un train et un véhicule, l’une avec un camion et l’autre avec une voiture.  À la suite de ces tragédies évitables, il s’est demandé ce que le grand public savait au sujet de la présence des trains, du matériel ferroviaire et des intersections où ils se rencontrent. « Je pouvais comprendre les intrus et les gens qui prennent des raccourcis.  On décide de faire ces choses.  Mais les collisions aux passages à niveau, en particulier avec des appareils d’avertissement automatiques, sont des choses que j’avais beaucoup de difficulté à comprendre, explique-t-il.  Si les gens connaissaient les conséquences de leurs actes, ils n’essaieraient même pas de traverser sans regarder, peu importe les mesures de protection en place. » Réconforter un camionneur luttant pour sa survie Quand on lui a demandé de parler des incidents, Mark a commencé par raconter le détail de la collision entre un camion et un train. « Le camionneur avait travaillé toute la nuit et n’a pas vu le système d’avertissement.  Il a heurté le train entre la deuxième locomotive et le premier wagon.  Il faisait environ -45 °C ce matin-là.  Quand je suis arrivé sur les lieux, je ne pouvais pas croire qu’il était encore en vie.  La cabine du camion était séparée du châssis et se trouvait 15 mètres plus loin, dans la neige.  L’ambulancier avait une conduite d’oxygène pour le chauffeur, mais il faisait tellement froid que je lui ai dit que ça ne servait à rien.  Je suis donc monté dans le camion et j’ai tenu le masque sur le visage du chauffeur.  Dix minutes plus tard, les secours sont arrivés.  Je suis resté dans la cabine et j’ai dit au conducteur de continuer à respirer pendant qu’ils coupaient ce qu’il restait de la cabine autour de lui. » On voit que cet incident a marqué M. Blanchette.  « Ce fut une expérience difficile pour moi parce que j’ai vu le résultat de la collision – la personne assise dans la cabine, dit-il.  Le conducteur a succombé à ses blessures sur le chemin de l’hôpital.  Ensuite, je suis retourné sur les lieux et je me suis assis dans le fourgon de queue avec mécanicien et le conducteur du train.  Nous avons bu du café et revu l’incident étape par étape.  Il était facile de voir que l’équipe était extrêmement secouée par cet incident et que le simple fait d’en parler la soulageait énormément. » La mort d’une adolescente près de la maison Mark Blanchette avait un lien personnel avec le deuxième incident (voiture et train).  « Une jeune fille allait chez sa mère pour déjeuner.  Alors qu’elle approchait du passage à niveau près de la maison, elle n’a pas prêté attention au système d’avertissement.  Le mécanicien a dit qu’elle était penchée sur le siège du passager.  Peut-être qu’elle changeait de station de radio ou que quelque chose était tombé du siège, mais à ce moment elle a raté une information très importante et a traversé devant le train. « Au moment où je suis arrivé sur les lieux, le corps avait été enlevé et la dépanneuse s’apprêtait à emporter la voiture.  Je n’ai pas regardé plus longtemps, explique-t-il.  Puis quelqu’un a dit qui était la personne morte.  C’était la fille d’un pompier que je connaissais depuis très longtemps. »
  1. Blanchette a été profondément touché par cet incident, non seulement comme père de deux filles, mais parce qu’il a vu la famille de l’adolescente vivre avec les répercussions. « Voir la famille affronter tous les enjeux et toutes les tensions liés au fait de perdre un être cher était extrêmement déchirant. Maintenant, je parle d’elle au début de chacun de mes exposés parce que les gens pensent toujours que ça ne leur arrivera jamais… jusqu’à ce que ça soit le cas. »
Des tendances troublantes : les incidents liés aux passages à niveau et aux intrusions augmentent au Canada Les incidents liés aux intrusions et aux passages à niveau augmentent partout au Canada, une tendance troublante dont peut témoigner Mark Blanchette.  « Pour moi, la tendance la plus troublante est celle des gens qui ignorent les dispositifs d’avertissement et décident de courir le risque de passer.  Ils pensent qu’ils peuvent battre le train de vitesse et gagner quelques secondes.  Ils pensent que cette grosse locomotive va leur laisser amplement de temps pour passer.  Ils se trompent quatre-vingt-dix-neuf pour cent du temps.  Chaque année, il y a des incidents avec des gens qui pensaient avoir le temps, encore et encore. » L’impact durable d’être le premier sur les lieux Travailler à ce genre de scènes a son prix.  « Vous arrivez sur les lieux et, chaque fois, vous vous demandez pourquoi, dit M. Blanchette.  Les lumières fonctionnent, la visibilité est bonne, le matériel fonctionne comme prévu et le temps est clément.  Il y a presque un sentiment d’impuissance.  Vous ne pouvez rien faire de plus pour éviter cet incident. » Allant plus loin, M. Blanchette explique combien le traumatisme d’un décès dû à un accident ferroviaire peut être profond.  « Nous faisons un travail très important, celui d’assurer que le grand public peut traverser nos voies ferrées en toute sécurité.  Nous devons maintenir une norme très élevée et travailler de nombreuses heures pour assurer que les gens ne courent aucun risque.  C’est pour ça que quand un incident survient à l’un de nos passages à niveau, ou même à celui d’une autre compagnie, nous sommes ébranlés. » « Chaque règle et chaque norme que nous suivons pour entretenir les passages à niveau et le matériel de protection est écrite dans le sang.  À chaque incident avec un train ou du matériel, une enquête est menée.  Mais malheureusement, peu importe ce que l’on fait, il y a toujours quelqu’un qui croit qu’il peut battre un train de vitesse.  Et ça, nous ne le contrôlons pas. » Une chose à ne pas oublier sur les propriétés ferroviaires En 1999, Mark Blanchette a commencé à travailler avec Opération Gareautrain afin d’informer les Canadiens de ce qu’ils peuvent faire pour ne pas être victimes d’un incident ferroviaire.  Il fait régulièrement des exposés et simule des collisions. Le travail de Mark n’est pas facile, mais grâce à son expérience, il transmet un important message sur la sécurité ferroviaire aux Canadiens.  « Aujourd’hui, mon message est simple.  Regardez toujours deux fois aux passages à niveau.  Vous ne traverseriez pas une intersection routière sans regarder des deux côtés, alors pourquoi le faire à un passage à niveau, où l’autre véhicule pourrait vous tuer instantanément ?  Les trains ne pardonnent pas les erreurs. »