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Steve, lors du dernier voyage de sa carrière, le 27 mars 2015.[/caption]
« Les mécaniciens de locomotive sont des personnes qui aiment sentir qu’ils ont le contrôle. Nous contrôlons notre train, et malgré cela des incidents arrivent, nous n’avons aucun contrôle. » - Steve Mitchell, mécanicien de locomotive.
Opération Gareautrain entreprend une série d’entrevues avec des employés des entreprises de chemin de fer afin de partager avec nos lecteurs les effets d’un incident.
Nous sommes très conscients qu’un incident est un événement tragique pour toutes les personnes impliquées, cependant, il est rare que nous ayons le point de vue des équipes de train. Aspect souvent oublié par les médias, nous voulons vous donner un aperçu des effets à long terme qu’un incident a sur les équipes de train, de leurs aptitudes à le gérer et ce qui les motivent à se lever tous les jours pour aller au travail.
Cette fois-ci, nous avons parlé avec Steve Mitchell, mécanicien de locomotive, récemment à la retraite. Retraite. Il partage avec nous un des incidents qu’il a vécu lors de ses 37 années de carrière dans l’industrie ferroviaire.
Qu’est-ce qu’on ressent lorsque l’on est impliqué dans un incident dû à l’intrusion?
Umm…on ne se sent pas bien du tout. On se sent impuissant. Je crois que les mécaniciens de locomotive sont des personnes qui aiment sentir qu’ils ont le contrôle. Nous contrôlons notre train, et malgré cela des incidents arrivent, nous n’avons aucun contrôle.
Qu’est-ce qui arrive suite à un incident?
Plusieurs choses peuvent arriver. Habituellement, on passe par plusieurs étapes, l’une d’entre elles est bien sûr la tristesse reliée à une perte de vie. On se questionne : est-ce que j’aurais pu faire quelque chose de plus pour prévenir l’incident? Est-ce que j’aurais pu faire les choses différemment? Mais je crois que dans tous les cas, il n’y a rien à faire. Cela arrive si rapidement et on passe par tant d’émotions – la tristesse, il peut y avoir de la colère, l’impuissance; parfois, cela mène à des problèmes supplémentaires qui font que vous manquez le travail à cause de maladie.
Quelle répercussion reste avec vous après avoir été impliqué dans des incidents? Quel effet cela a-t-il eu sur la façon de faire votre travail?
Je crois que lorsque vous avez vécu un accident, on n’est plus jamais pareil. On est peut-être toujours un peu plus nerveux ou sur le qui-vive à l’intérieur de soi. Même si le temps passe, on est conscient que cela peut arriver à n’importe quel moment. Alors, cela vous rend plus nerveux qui si vous n’aviez jamais vécu un incident.
Pouvez-vous nous parler d’un incident en particulier?
Je vais vous parler d’un incident dû à une intrusion puisque j’ai vécu quelques pertes de vie. Dans cet incident, il n’y a pas eu perte de vie, mais il s’en est fallu de peu. C’était le jour de la fête des Mères en 2012 dans le sud de l’Ontario dans la ville de Belleville. C’est un territoire où il y a beaucoup de doubles voies. Il y avait un train de marchandises qui arrivait vers moi sur l’une des voies, et je voyageais sur l’autre voie. Le mécanicien du train de marchandises m’a averti qu’il y avait un intrus sur les voies plus loin à l’avant. Je ne pouvais pas le voir, car il y avait une courbe dans les voies ferrées. Alors, lorsque je suis arrivé près de l’endroit, j’ai commencé à ralentir et quelque chose d’instinctif m’a fait mettre le train en mode urgence, sans même voir les gens. Lorsque j’ai pris la courbe, il y avait quatre adolescents qui marchaient sur la voie dans la même direction que moi. Ils marchaient sur les voies, mais ils ne pouvaient pas m’entendre. J’actionnais le sifflet, mais ils ne pouvaient pas m’entendre à cause du bruit provenant du train de marchandises roulant sur l’autre voie. On approchait de plus en plus près d’eux, je faisais siffler le sifflet et ils ne m’entendaient toujours pas à cause du train de marchandises. Heureusement, le train s’est arrêté à 20 pieds derrière eux.
Si mon instinct ne m’avait pas fait mettre le train en mode urgence avant de les voir, il y aurait sûrement eu quatre décès ce jour-là. Ces jeunes étaient des adolescents qui étaient totalement inconscients de ce qui se passait autour d’eux, du danger dans lequel ils s’étaient mis, en ce beau jour ensoleillé de la fête des Mères. On est sorti du train pour leur parler et leur expliquer ce qui venait de se passer sans qu’ils en aient conscience et on leur a demandé ce qu’ils en pensaient; comment se serait sentie leur mère en ce jour de la fête des Mères si leurs quatre enfants n’étaient jamais revenus à la maison? J’espère que je leur ai fait peur et qu’ils ont réalisé le danger de ce qu’ils avaient fait. Ils étaient, comme je vous l’ai dit, totalement inconscients de ce qu’ils faisaient de marcher sur les voies ferrées. Ils n’ont pas vu le train, ils n’ont pas entendu le train et ils ne pensaient pas qu’ils étaient en danger.
Quelle est la chose que vous aimeriez que les Canadiens sachent à propos de la sécurité ferroviaire? À quoi voudriez-vous qu’ils pensent lorsqu’ils voient des voies ferrées ou le domaine ferroviaire?
Bien, je crois que les gens devraient regarder les voies ferrées de la même manière qu’ils regardent une piste d’avion. Ils n’iraient pas marcher sur cette piste n’est-ce pas? Si on leur demandait ce qu’ils en pensent, ils répondraient : « êtes-vous fou? On ne marche pas là!» Les gens doivent commencer à voir les voies ferrées de la même manière. Les voies ferrées traversent les communautés où les gens vivent, ce n'est pas comme les pistes d’atterrissage qui sont dans des endroits fermés, clôturés et où personne n’ose entrer sur le terrain d’un aéroport. Parce que les voies ferrées traversent leur ville, cela ne veut pas dire que ce n’est pas dangereux – c’est un endroit extrêmement dangereux. Alors, ayez toujours en tête qu’un train n’a pas d’heure. En tant qu’opérateurs de trains, on ne peut pas arrêter le train rapidement, on ne peut éviter des gens sur les voies, on n’a pas de volant, et les trains vont trop vite et sont trop lourds pour que l’on puisse prévenir un accident d’arriver. Si quelqu’un saute devant nous, contourne une barrière, ou qu’il joue sur les voies ferrées…ils jouent avec leur vie.
Très bon conseil, merci beaucoup Steve et merci d’avoir partagé cette histoire avec nous.
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