L’horreur de frapper quelqu’un avec un train

Terry Brennan, Via Rail locomotive engineer« Je me rappelle des événements tragiques qui se sont produits là. » — Terry Brennan, mécanicien de locomotive.  Opération Gareautrain entreprend une série d’entrevues avec des employés des entreprises de chemin de fer afin de partager avec nos lecteurs les effets d’un incident.  Nous sommes très conscients qu’un incident est un événement tragique pour toutes les personnes impliquées, cependant, il est rare que nous ayons le point de vue des équipes de train. Aspect souvent oublié par les médias, nous voulons vous donner un aperçu des effets à long terme qu’un incident a sur les équipes de train, de leurs aptitudes à le gérer et ce qui les motivent à se lever tous les jours pour aller au travail.  Cette fois-ci, nous avons parlé avec Terry Brennan mécanicien de locomotive chez VIA Rail. Il a partagé avec nous ces réflexions sur les incidents qu’il a connus au cours de ses 26 ans de carrière avec les entreprises de chemin de fer.  Basé à Toronto, Terry a travaillé la majorité de la carrière dans le sud de l’Ontario. Cette région connue pour sa population dense et l’importante présence des chemins de fer, Terry partage ses souhaits au sujet de la sécurité ferroviaire et il espère que cela sensibilisera tous les Canadiens.  Avez-vous déjà été impliqué dans un incident? Oui, j’ai été impliqué dans plusieurs incidents au cours de mes 26 ans de carrière avec VIA Rail. Nous avons frappé des véhicules, des animaux et malheureusement nous avons aussi frappé des personnes. Un exemple qui est survenu il y a quelques années. Nous étions à une heure de la fin de notre voyage lorsque j’ai remarqué un homme marchant le long de la voie ferrée, l’utilisant comme raccourci. J’ai immédiatement actionné le sifflet du train et actionné les freins. Lorsque j’ai réalisé que l’homme était toujours en danger, j’ai mis les freins d’urgence. Après quelques instants nous avons frappé l’homme et le train s’est finalement arrêté. Je me souviens encore qu’il faisait noir ce soir-là, il y avait de la brume, il pleuvait et le temps était misérable…ah oui, c’était le soir de l’Halloween ce qui rendait tout encore plus sinistre. Je conduisais la locomotive et mon collègue ne voulait pas aller au point d’impact puisqu’il avait lui-même été impliqué dans un décès récemment qui le perturbait encore, alors la tâche de voir si la personne avait besoin d’aide me revenait. En vérité, lorsque je l’ai trouvé, l’homme était mort et à ce point il fallait seulement attendre que les policiers, le coroner et l’équipe de relève arrivent. Il y a beaucoup de choses qui vous passent dans la tête lorsque vous attendez que les gens arrivent, mais malgré tout, vous vous souvenez de votre formation et vous maintenez le protocole. Ce n’est que plus tard que cela vous affecte et c’est lorsque vous êtes seul et que vous n’êtes plus au travail que les événements commencent à vraiment vous marquer. Qu’est-ce qu’on ressent lorsque l’on est impliqué dans un incident? Au moment où il se produit, il est très difficile de le décrire : votre rythme cardiaque augmente et l’adrénaline s’en mêle. Je peux vous dire honnêtement que lorsque c’est arrivé, à tout le moins pour moi, j’ai fait mon travail de façon presque robotique, puisque ma formation avait pris le dessus. Je me souviens d’avoir fait un appel d’urgence au RTC ainsi qu’aux instances nécessaires, puis j’ai marché le long des voies pour aller donner de l’aide à l’homme que nous venions de frapper. Ce n’est que beaucoup plus tard, lorsque les choses se calment que l’on commence à réaliser ce qui s’est passé et que l’on met tout en place. C’est lorsque vous vous dirigez vers le terminal que l’on commence à en parler avec son camarade et que vous demandez : «Pourquoi cet homme a-t-il pensé que c’était une bonne idée de marcher le long des voies?» «Est-ce que j’aurais pu faire plus pour prévenir l’incident?» Même si vous savez la réponse à cette question, cela vous perturbe de savoir qu’un fils vient d’être enlevé à sa mère, à ses amis – un potentiel qui ne sera jamais. Maintenant, chaque fois que je passe à cet endroit et d’autres, je me souviens des événements tragiques qui se sont passés là. Qu’est-ce qui arrive suite à un incident? Pour les employés qui sont directement impliqués dans l’incident, il peut y avoir, selon l’individu, des moments de désespoir, d’anxiété, de rage et même de tristesse. Heureusement, il y a des outils à notre disposition. Il y a du soutien de professionnels et de l’appui de collègue qui sont là pour vous écouter et d’aider les employées de chemins de fer à traverser ce temps difficile. Suite à des incidents, les entreprises de chemin de fer ont participé à des programmes comme Opération Gareautrain ou  des présentations lors des Journées de sécurité afin d’essayer de rejoindre de grands groupes de jeunes et de les éduquer sur les dangers que représentent des opérations ferroviaires. Depuis quelques années, VIA Rail a amorcé son propre programme « Endroits à haut risque » (High Risk Areas - HRAs). Je me suis impliqué dans ce programme et j’ai écrit le premier rapport qui fut développé pour devenir le programme actuel de HRAs. Mon intention était d’identifier les endroits dans le corridor qui étaient reconnus pour l’intrusion, les quasi-collisions et les décès. Le programme a ensuite été agrandi pour couvrir d’autres régions. Quelle répercussion reste avec vous après avoir été impliqué dans des incidents? Quel effet cela a-t-il eu sur la façon de faire votre travail? Le plus grand impact pour moi a été le désir d’aider à résoudre la problématique des accidents et incidents engendrés par l’intrusion sur le domaine ferroviaire. J’avais les connaissances sur les lieux des incidents, comme plusieurs autres mécaniciens de locomotive avec qui j’ai travaillé. Je savais aussi des choses qui pouvaient être faites pour prévenir que de tels incidents se produisent. Mon premier rapport était essentiellement basé sur mes observations durant toutes mes années à parcourir le corridor avec une multitude d’autres mécaniciens de locomotive avec qui j’ai travaillé. Le projet actuel sur lequel je travaille utilise une formule développée par VIA Rail qui classe chaque endroit selon une série de critères tels que les clôtures, la signalisation, l’éclairage, la densité de la population, le nombre de présentations d’Opération Gareautrain faite dans cet endroit pour n’en nommer que quelques-uns. Une fois ces données tabulées, on peut voir quels endroits demandent le plus d’attention et des solutions pour réduire le nombre d’incidents dus à l’intrusion. Je ressens un immense sentiment de satisfaction sachant que le travail que je fais peut potentiellement réduire ces événements tragiques pour les familles des victimes ainsi que pour les collègues de travail. Qu’elle est la chose que vous aimeriez que les Canadiens sachent à propos de la sécurité ferroviaire? À quoi voudriez-vous qu’ils pensent lorsqu’ils voient des voies ferrées ou le domaine ferroviaire? La chose que je voudrais que chaque Canadien réalise à propos de la sécurité ferroviaire est qu’elle commence avec eux. Plusieurs personnes ont entendu parler d’Opération Gareautrain et de l’excellent travail qu’ils font à éduquer les jeunes sur les dangers que représente le domaine ferroviaire, mais cette éducation doit commencer à la maison à un très jeune âge et de façon continue jusqu’à ce qu’ils quittent la maison. J’ai eu des voisins qui m’ont raconté des histoires sur le fait que ce n’était pas grave de faire intrusion sur les voies ferrées et qu’ils l’avaient fait lorsqu’ils étaient jeunes. Les jeunes sont très impressionnables et lorsque l’on dit des choses comme ça, ils enregistrent – ne le faites pas! Il n’est jamais génial ou cool de jouer avec sa vie ou celle des autres, car il y a de grandes chances que vous perdrez. Personne ne dit que vous devez avoir peur des trains ou du domaine ferroviaire, mais vous devez avoir du respect. Donnez-leur l’espace qu’ils méritent et dites aux autres d’en faire du pareil, principalement vos enfants. Malheureusement, trop de personnes ont une attitude nonchalante lorsqu’il s’agit de faire intrusion sur le domaine ferroviaire, ce qui entraîne des situations tragiques qui auraient pu être facilement évitables si elles avaient simplement utilisé un peu de gros bon sens. Nous devons aussi mener par l’exemple. Lorsque vous vous promenez en voiture et que vous arrivez à un passage à niveau, traitez-le avec respect et ne tentez pas votre chance. Lorsque j’ai enseigné à mes enfants à conduire, je leur ai parlé de plusieurs problématiques de sécurité routière, mais je me suis également assuré de mentionner qu’ils devaient être encore plus prudents autour des voies ferrées. Mes enfants se sont fait répéter des millions de fois qu’il ne faut jamais s’arrêter sur les voies ferrées, qu’on ne course jamais avec un train et qu’il faut être très attentif lorsque l’on approche d’un passage à niveau. Ensemble, tous les Canadiens peuvent faire une différence en aidant à réduire le nombre d’accident et d’incidents ferroviaires. Éduquer les gens concernés est un très bon départ pour aider à réduire ces événements.   Si vous désirez en savoir plus :