[caption id="attachment_9374" align="alignright" width="225"]
Tom Bozyk, conducteur de locomotive[/caption]
«Être impliqués dans un incident ferroviaire, que ce soit les membres de l’équipe de train aux premiers répondants, laissera toujours une marque dans leur vie. » —Tom Bozyk, conducteur de locomotive
Tom Bozyk est conducteur de locomotive et travaille dans le domaine ferroviaire depuis 25 ans, il a connu beaucoup de situations critiques qui auraient pu être de graves incidents — des personnes faisant intrusion sur les voies ferrées; des conducteurs coursant avec le train pour arriver en premier au passage à niveau; des conducteurs impatients qui contournent les barrières. Toutes ces situations ont laissé une profonde impression sur lui. Imaginez que vous voyez quelqu'un sur les voies ferrées en avant de vous et vous savez que vous ne pouvez pas louvoyer ou arrêter le train à temps.
Terrifiant
Mais vous n’êtes pas obligé de nous croire sur parole. Lisez plutôt notre entrevue avec Tom où il décrit dans ces propres mots ce qu’il vit en tant que conducteur de locomotive lorsqu’un incident arrive.
Qu’est-ce qu’on ressent lorsque l’on est impliqué dans un incident?
La première fois que j’ai été impliqué dans un incident, j’étais un nouvel employé et je revenais à la maison un samedi matin, revenant à Winnipeg après un long voyage. Ce premier incident n’impliquait pas de personne, mais un animal. C’était un… je m’en souviens encore. Arrivant en ville, il fait beau et chaud, c’est le printemps et il y a un labrador noir sur les voies ferrées, sa queue bouge, il joue et fait ce que font les chiens. Nous actionnons le sifflet du train pour faire assez de bruit pour lui faire peur et qu’il s’en aille. Je me souviens qu’il a juste tourné et il a couru vers nous, et vous savez, je n’oublierai jamais, car à l’époque, j’avais moi aussi un labrador noir.
Je me souviens du chien courant vers nous et d’entendre le bruit sur le devant de la locomotive. Il n’y a rien que l’on puisse faire, on sait que l’on n’est pas responsable, on continue et je me souviens que cela m’a profondément affecté. J’avais un chien à cette époque, un labrador noir par surcroit, alors vous savez, l’incident a frappé encore plus fort. Ce fut mon premier incident et comment cela m’a-t-il affecté? Eh bien, j’ai ressenti de la douleur et de la tristesse et un sentiment d’impuissance parce qu’il n’y a rien que je pouvais faire.
Les incidents que j’ai eus impliquant des personnes, mais pas de décès, À CE JOUR. Et pourquoi de dit à ce jour, c’est parce que statistiquement parlant, les personnes qui travaillent l’industrie ferroviaire, les conducteurs de locomotive, les chefs de train et au long de leur carrière la plupart d’entre eux connaîtront un décès selon les statistiques bien entendu. Alors, nous allons travailler tous les jours en espérant qu’aujourd’hui ne sera pas la journée où cela arrivera, amis des accidents arrivent. Et comment cela nous affecte-t-il lorsque cela arrive? Ça laisse une marque à tout jamais et il y a de la frustration, de la tristesse, de la colère et encore une fois cette forte impression d’impuissance.
Qu’arrive-t-il après qu’un incident a eu lieu?
Vous savez, je ne sais pas si on réussit à passer par-dessus. On accepte que cela fasse partie de notre travail. Les cas que j’ai connus ont impliqué des animaux et des personnes, que ce soit un chien, un cerf, une vache, un orignal, ou un humain. Vous ressentez toujours la perte, il y a toujours le facteur de la mort qui est très fort, spécialement lorsque vous êtes une personne qui adore les animaux. Si l’incident implique un humain, alors c’est inimaginable. Comment cela vous affecte-t-il? Et bien, ça vous change pour toujours. Vous savez, dans ma carrière, j’ai eu trois collègues, avec qui j’étais très proche, qui sont morts. Ils ne sont pas morts suite à un incident avec un train, mais leurs décès étaient tout de même reliés à l’industrie et ils vous affectent profondément.
Parlez-nous des incidents que vous avez vécus. Quels ont été leurs impacts sur vous?
Les incidents impliquant des personnes. Eh bien, où commencer? Mon dernier incident date de juin 2009, j’ai frappé un véhicule à un passage à niveau et l’incident heureusement n’a pas causé de décès. Il y avait un seul individu dans le véhicule et il a été gravement blessé. J’opérais un train de passagers à l’époque, alors le potentiel de blessure était grandement augmenté, car il n’y avait pas seulement l’individu dans le véhicule qui pouvait subir des blessures, mais tous les passagers du train qui lors d’un arrêt d’urgence, pouvaient subir des blessures parce qu’ils ont été secoués dans le train.
Alors, l’impression qui perdure tout au long de votre carrière en tant que conducteur de locomotive, statistiquement parlant, la plupart des équipes de train, que vous soyez chef de train ou conducteur de locomotive, est que vous ne finirez pas votre carrière sans avoir connu au moins un décès et ceci est simplement des mathématiques pures.
Tous les jours, nous allons au travail et voyons des gens qui font intrusion sur le domaine ferroviaire, prenant des raccourcis, des gens dans leurs véhicules qui n’arrêtent pas aux feux clignotants ou qui contournent les barrières ou qui coursent avec le train. Le stress que cela met sur les équipes de train est énorme parce que nous essayons de faire notre travail et nous sommes comme des victimes oubliées lors d’un incident. Nous devons vivre avec les images, avec les sons — ces choses-là restent toujours avec vous. Je peux revoir dans ma tête tous les détails de ma dernière collision avec un véhicule comme si c’était arrivé hier. Notre corps subit une énorme quantité de stress après un incident.
Je me souviens de cet incident en juin, sous le choc sûrement, mais tout de même soulagé que le conducteur ait survécu, car lorsque j’ai eu la chance je suis retourné sur le site de l’incident. Les premiers répondants étaient sur les lieux et le site était sécurisé. La première chose qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai vu le véhicule totalement détruit dans le ravin : « wow, j’espère qu’il avait une protection contre la grêle. » Le véhicule avait probablement été dans une tempête de grêle. La première chose que je vois est la destruction, je vois ce qui s’est passé, je sens, je goûte et j'entends tout ce qui se passe autour de moi, mais mon cerveau ne pense qu’au dommage fait par la grêle, c’est ça que fait une énorme quantité de stress. Ensuite, vous partez. Je me souviens d’avoir ressenti une très grande faim, vous savez, avait besoin d’une barre Snicker immédiatement et encore, ça c’est un signe de très grand stress causé par l’incident.
Mais vous continuez votre carrière et vous êtes ultrasensible à tout ce qui se passe autour de vous. Vous êtes sur les dents, vous savez, vous vous posez un million de questions. Est-ce cette personne va continuer? Est-ce qu’elle va arrêter? Est-ce que le véhicule va contourner les barrières? Oh non, quelqu’un traverse les voies ferrées en avant de vous! Le stress est constant lorsque vous faites seulement votre travail.
Qu’elle est la chose que vous aimeriez que les Canadiens sachent à propos de la sécurité ferroviaire? À quoi voudriez-vous qu’ils pensent lorsqu’ils voient des voies ferrées ou le domaine ferroviaire?
Le message qu’ils devraient connaître est que malgré que les gares de triage semblent invitantes et qu’elles séparent les communautés voisines, elles ne devraient jamais être perçues comme d’idéals raccourcis. Premièrement, vous faites une intrusion sur le domaine ferroviaire, ce qui est une action illégale. Deuxièmement, il y a une chance que vous soyez frappé par un train. Nous voyons des gens qui passent sous les wagons ou qui grimpent sur les équipements ferroviaires. Vous savez, on ne peut les voir et ils ne savent pas que nous pouvons commencer à déplacer cette série de wagons qu’ils croient stationnaires.
Ce qu’ils ont besoin de savoir est qu’à la fin de la journée, ils pourraient être grièvement blessés ou même tués. Ils ont tous des sœurs, des frères, des mères, des pères, des oncles, des tantes ou des grands-parents qui devront vivre avec la tragédie découlant des actions qu’ils auront prises. C’est la même chose aux passages à niveau. Que ce soit de courser avec le train ou de contourner les barrières. Ensuite, il y a nous, les équipes de train, ceux qui sont comme des premiers répondants. Nous serons les premiers qui, dans la plupart des cas, donneront les premiers soins. Il y a un impact sur nous et aussi sur les répondants d’urgence qui sont eux aussi sur les lieux.
Alors, pour tous ceux qui sont impliqués dans un incident ferroviaire de l’équipe de train aux répondants d’urgence, il y aura une marque qui restera sur leur vie puisqu’ils auront sûrement à traiter des blessures graves ou même un décès, et vous savez, elle sera plus profonde s’il y a des enfants d’impliqués. Nous voyons les adultes, peut-être conduisant leur véhicule, mais ce sont les enfants, et spécialement les adolescents qui font de l’intrusion, qui prennent des raccourcis à travers le domaine ferroviaire.
« Nous sommes là essayant de faire notre travail et nous sommes un peu les victimes oubliées dans un incident. Nous devons vivre avec les images, avec les sons — ces choses-là restent toujours avec vous. Je peux encore revivre dans ma tête ma dernière collision avec un véhicule, comme si c’était arrivé hier. » — Tom Bozyk, conducteur de locomotive