Faire face aux tragédies ferroviaires
Au cours de ses 28 ans comme mécanicien de locomotive, Nevin Hamilton a eu son lot de comportements à risques sur les voies ferrées et aux alentours de celles-ci. Malheureusement, il a également vu bon nombre de tragédies.
Mais un incident en particulier l’a hanté pendant des années.
En avril 2013, un cycliste de 79 ans a essayé de traverser deux voies ferrées alors que les barrières étaient encore abaissées et que les signaux lumineux clignotaient au passage à niveau. Il a contourné les barrières, pensant que le train était déjà passé et ne réalisant pas du tout qu’il y avait une autre voie ferrée—et un autre train qui arrivait en sens inverse. Il a essayé de rebrousser chemin à la dernière minute, mais il était trop tard.
Nevin Hamilton et Angèle Brisson étaient les mécaniciens de locomotive qui conduisaient le train ce jour-là. Ils parlent de l’impact que cet incident a eu sur eux dans une nouvelle vidéo lancée dans le cadre de la campagne #FINILesVoiesTragiques d’Opération Gareautrain. Cette vidéo fait partie d’une série de sept qui racontent les histoires personnelles de gens qui ont eu à vivre avec les effets à long terme d’incidents ferroviaires. Les sept vidéos seront dévoilées pendant la Semaine de la sécurité ferroviaire, qui aura lieu du 23 au 29 septembre prochains.
Voici quelques extraits de la conversation qu’Opération Gareautrain a eue avec le mécanicien de locomotive Nevin Hamilton au sujet de ce tragique incident.
De quoi vous souvenez-vous au sujet de cet incident ?
Ce qui arrive avec ce genre d’incident, c’est que personne ne réagit de la même façon. Je connais des gens qui ont été témoins d’incidents et qui peuvent vous donner le nom de la personne impliquée, la date et même l’heure, etc. Ce n’est pas mon cas. Je peux raconter exactement ce qui est arrivé étape par étape. Mais les autres renseignements, je ne veux pas les connaître.
Pouvez-vous décrire les souvenirs que vous gardez de cette journée ?
Nous approchions de la gare de Kitchener où il y a une voie ferrée principale et une autre à côté. Il y avait un train de marchandises sur la deuxième voie. Il roulait vers l’est et nous vers l’ouest. Il y avait également un passage à niveau juste après la gare et alors que l’autre train libérait le passage à niveau en direction de l’est, nous approchions en direction de l’ouest.
Un bon nombre de personnes attendaient au passage à niveau que les trains passent. Et venant du côté du train de marchandises—le côté nord—il y avait un homme âgé sur une bicyclette qui n’a pas attendu que les barrières remontent. Dès que le train de marchandises a quitté le passage à niveau, il a juste contourné les barrières et commencé à traverser. Il ne pouvait pas nous voir, car nous n’étions pas du même côté, et nous l’avons accroché avec le coin de la locomotive à environ 50 kilomètres/heure.
Nous nous sommes arrêtés et je me suis assuré que je serais celui qui retourne sur le lieu de l’incident. Parce que quelqu’un doit toujours retourner. Il y avait déjà cinq ou six personnes qui essayaient de l’aider, dont une infirmière. Ses jambes étaient coincées dans la bicyclette et il avait été traîné le long de la chaussée. Nous avons fait ce que nous avons pu pour lui jusqu’à ce que les services d’urgence arrivent. Nous l’avons décoincé et mis dans une ambulance, mais il est mort en route vers l’hôpital.
Comment une tragédie comme celle-là vous affecte-t-elle personnellement ?
Vous ne vous débarrassez jamais des images. C’est comme regarder un film encore et encore. La chose qui m’a le plus frappé avec cet incident, c’est lorsque je suis repassé au même passage à niveau, je l’ai vu coincé dans sa bicyclette, face contre terre—c’est une image qui ne me quitte jamais.
Mais un incident comme celui-ci est plus difficile à accepter, car il aurait pu être évité si facilement. Ce n’était pas un jeune homme, c’était un monsieur âgé en très bonne forme physique. Il était évident que c’était un fervent cycliste à la façon dont il était habillé : son casque, ses lunettes de soleil, les vêtements qu’il portait. Il a fait une erreur qui aurait pu être facilement évitée.
Mais on se remet en question. On se demande : « Aurait-on pu agir autrement ? » C’est une réaction normale. Mais non, en réalité il n’y a rien que nous aurions pu faire pour éviter cette situation. À ce passage à niveau en particulier, nous ne pouvons pas actionner le sifflet—nous pouvons seulement faire sonner la cloche parce que la ville ne veut pas de sifflets de train dans les quartiers résidentiels. Si nous avions actionné le sifflet, est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Allez savoir…
Si vous pouviez y retourner et parler à cet homme, que lui diriez-vous ?
Si je pouvais revenir au moment où cet homme a commencé à traverser la voie ferrée avec sa bicyclette, je lui demanderais : « Vous êtes un homme d’âge mûr, et si c’était un de vos petits-enfants qui faisait ce que vous êtes en train de faire maintenant ? Qu’est-ce qui vous fait penser que les règles de sécurité ferroviaire ne s’appliquent pas à vous ? Pourquoi êtes-vous si pressé ? Prenez une minute. Vous pourriez être de l’autre côté 10 ou 20 secondes plus tard. Quelle est la différence ? » Au bout du compte, ça lui a coûté la vie !